Bonnes feuilles

Redouane Tabet Aïned

L´auteur du 8 mai 1945 en Algérie,
Redouane TABET AÏNED, posant la main
sur le livre tenu par Maïmonide (XIIe s.)
On dit généralement que le lieu de naissance, les origines et les événements influencent quelque part l’écrivain qu’en pensez-vous ?

Cela revient à poser la question du déterminisme. En effet, nous sommes tous, et moi-même en qualité d’écrivain, déterminés par ces trois éléments. Aussi, suis-je aussi l’auteur d’une Histoire de Sidi Bel Abbes – où j’ai grandi –, De la colonisation à la guerre de Libération – que j’ai vécues – en Zone 5, Wilaya V – où j’ai participé à la guerre de libération, parue aux éditions ENAG, en 1999. Néanmoins, en qualité d’historien j’ai toujours essayé de faire un effort pour tendre vers une certaine objectivité.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire et dans quel courant de pensée ou littéraire écrivez-vous ?

En publiant à l’OPU d’abord le 8 Mai 1945 en Algérie, paru en 1985, j’étais mu par plusieurs motivations et objectifs dont :

- Sortir de l’oubli quasi total cette tentative génocidaire contre mon peuple et souligner ainsi ses sacrifices qui ont justifié en grande partie le recours à la violence libératrice de 54 à 1962..
- Faire connaître à la jeunesse algérienne et aux autres, d’ici et d’ailleurs, ces massacres contre un peuple désarmé et qui, dès lors, ne va plus croire à la «démocratie colonialiste».
- Contribuer ainsi à l’écriture de l’Histoire tout en montrant concrètement une nouvelle méthode consistant, avec ou faute d’archives, à utiliser aussi les témoignages des survivants qui, proposent une vision et des éclairages nouveaux, mais à condition de soumettre aussi leurs témoignages à la critique scientifique.

En quelques mots, présentez-nous vos écrits parus à l’ANEP.

L’ANEP a publié mon ouvrage le 8 mai 1945 : le génocide dans sa troisième édition – ce qui est rare. Elle vient également de le publier en langue arabe pour le lectorat algérien arabisant, les étudiants arabisants, notamment, et le lectorat arabe du Moyen-Orient afin qu’ils aient une idée plus juste des sacrifices du peuple algérien. Peut-être, à cet effet, mérite-t-il d’être traduit dans d’autres langues ?

Dans vos différentes lectures quel est l’ouvrage qui vous a le plus marqué ?

Ils sont multiples, mais j’en ai apprécié deux particulièrement, sans que j’en sois forcément «marqué». Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien : 1919-1951, SNED, 1980. Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité : 1945-1962, Naqd-Enal, 1993.

Quel est le thème que vous aimeriez développer si vous aviez l’intention de publier un autre livre ?

Un thème historique, probablement, pour deux raisons :
- L’histoire est la discipline que je maîtrise le mieux ;
- Un peuple sans histoire est un peuple sans avenir, car incapable de tirer des leçons de son passé. Ce serait donc une contribution civilisationnelle.

Que pensez-vous du débat en cours sur la mémoire et la colonisation (à la lumière (?) de la loi du 23 février 2005, française) ?

La loi du 23 février a, au contraire, créé la confusion entre mémoire et Histoire qui n’est pas du ressort du législateur. Si les méfaits du colonialisme – massacres, génocide ou tentatives génocidaires, torture généralisée enfumades, séquestres, expropriations, exploitations, reculs civilisationnels sur différents plans – étaient assez connus, et donc évidents, cette loi scélérate a mis l’ex-colonisé dans la position d’une victime devant prouver son innocence devant un tribunal ; ce qui a inversé les rôles pour n’avoir pas à présenter une demande de pardon ou de repentance au moins et des dédommagements.
En outre, c’est une affaire franco-française qui a remis en question la signature d’un traité d’amitié et se situe dans le cadre d’une campagne préélectorale. Elle est contraire aux fondements de la science (cartésianisme, Dr Claude Bernard, Ecole des Annales) et de la pédagogie ; elle risque enfin d’élargir le fossé entre les nouvelles générations des deux peuples ; elle représente le danger même de la mémoire incapable de se hisser au niveau d’une histoire qui essaye d’être objective, quand elle est élaborée et écrite par des historiens.