Bonnes feuilles

Mohamed Lemkami

Vous êtes natif de quelle région et en quoi cet espace vous a-t-il influencé ?

Je suis natif du village de Khémis de la tribu des Béni Snous en pleine montagne à quelque 45 km au sud-ouest de la ville de Tlemcen. A vol d’oiseau, il est situé à environ 20 km de la frontière algéro-marocaine. Ce village, à 1200 m d’altitude, fait partie d’une série de petits villages situés de part et d’autre de la rivière qui porte le nom de Oued Khémis, l’un des principaux affluents de la Tafna. Cette belle vallée très encaissée, dont les paysans vivotent dans de petits jardins étagés, avait donné non seulement de nombreux soldats à l’armée française à deux reprises, en 1914 et 1939, pour se libérer de l’occupation allemande, mais aussi de nombreux ouvriers mineurs, du bâtiment et du textile dans le nord et l’est de la France. Elle a donné aussi de nombreux combattants de la lutte de libération nationale entre 1954 et 1962. Cet espace où la vie est très rude m’a influencé par ses valeurs de rigueur, de sagesse, de respect des autres et surtout de la volonté de lutter en permanence.

Quel est le livre qui vous a le plus marqué ?
 
Tout dépend des périodes. A l’adolescence, je peux citer, entre autres, le Premier de Cordée dont je ne me rappelle plus l’auteur, l’aventure se passe en montagne, exactement comme celle de ma prime jeunesse. Ce qui m’avait marqué en lisant cet ouvrage, c’était le défi face au danger de la montagne. Puis il y a eu les auteurs classiques, suivis des romantiques. Je les ai tous appréciés. Je n’ai pas eu la chance, comme ceux de ma génération, d’apprécier les auteurs de la langue arabe.

Pourquoi avez-vous écrit votre ouvrage ?

Pour moi, c’était un devoir de mémoire comme d’ailleurs pour tout acteur des génération des années 1920, 1930, 1940, à l’intention de toutes les génération post-Indépendance, sevrées de la connaissance de l’histoire, toute l’histoire de leur pays. Il est certain nombreux parmi ces acteurs étaient des analphabètes. Mais ceux capables de transmettre par écrit ou par enregistrement leur témoignage demeurent rares.

Quel est le livre que vous auriez aimé écrire ?

J’aurais tant aimé retracer l’épopée de cette très nombreuse jeunesse volontaire qui avait joué, dans la clandestinité et l’ombre, un rôle remarquable et combien efficace pour la Révolution au sein des instances du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG) sous la direction du colonel Si Mabrouk (Abdelhafidh Boussouf).

Dans quel courant de pensée littéraire, philosophique vous situez-vous ?

D’abord je ne suis pas un intellectuel appartenant à un courant littéraire, philosophique ou autre. J’aime la liberté, la vérité, la dignité et le respect d’autrui. Mes choix de lecture vont en premier vers l’histoire de mon pays, de ma région, surtout méditerranéennes, mais aussi universelle. J’apprécie les courants philosophiques intellectuellement objectifs et honnêtes.

Que pensez-vous de ces trois auteurs : Mohammed Dib, William Faulkner et Miguel de Cervantès ?

Pour moi, Cervantès c’était d’abord mes souvenirs de jeunesse sans aucune faculté d’analyse. J’en avais pris connaissance vers les 6e et 5e ; années des cours complémentaires. Les aventures de Don Quichotte tempérées par la morale de Sancho Pença ne m’emballaient pas face au Cid de Corneille, d‘Andromaque de Racine ou autres. Mais avec l’âge et la maturité, on réalise que cette œuvre décrit la décadence de la société espagnole. N’est-ce pas à l’identique de l’Algérie ? Pour Mohammed Dib, je n’ai pris connaissance de son œuvre que bien après l’indépendance. En revanche, j’avais découvert son existence en feuilletant les registres de l’école primaire de Zoudj El-Beghal (14 km à l’ouest de Maghnia) où il avait exercé bien avant moi comme instituteur. Depuis, j’ai lu une bonne partie de son œuvre qui meuble ma bibliothèque. Sa ville natale y est magnifiée avec ses hauts et ses bas. Faulkner ? Je suis désolé, je n’ai pas grande connaissance de cet auteur américain, sauf à travers quelques commentaires dans lesquels il semble adorer son lieu de naissance. Sans le plagier, dans mes Mémoires Les hommes de l’ombre, je fais un peu la même chose.